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ESTHETIQUE EST NOTRE VISION DU MONDE

23 Juin 2014 Publié dans #A propos

Lors du premier congrès fasciste au théâtre Olimpia de Florence, Marinetti, le chef de file du mouvement futuriste,  fait l'éloge des artistes au pouvoir à Fiume :  « Les artistes font enfin du gouvernement un art désintéressé, à la place de celui qui existe, à savoir une pédante science du vol et de la lâcheté. (...) Je crois que les institutions parlementaires sont fatalement destinées à périr. Je crois que la politique italienne est destinée à un échec inévitable, si elle ne se nourrit pas de cette force vive, les génies créateurs d'Italie, en se débarrassant de ces deux maladies italiennes : l'avocat et le professeur. »

Montage Phot Fiume


« Fiume ou la mort »
(Article parut dans l’humanité).
À la fête de la révolution, artistes et libertaires avec D'Annunzio à Fiume,
de Claudia Salartis, traduit de l'italien par Philippe Baillet, préface de Michel Ostenc. Éditions du Rocher, 384 pages, 21,90 euros.
De l'entreprise de Fiume, les historiens nous ont transmis la trame d'un épisode héroïque et malheureux des conflits qui ont suivi la Grande Guerre : le 12 septembre 1919, Gabriele D'Annunzio, avec une colonne de soldats mutinés, part de Ronchi et s'empare de Fiume pour que cette ville et sa région, attribuées à la Yougoslavie, puissent être rattachées à l'Italie. Cette minuscule armée part au cri de : « Notre victoire ne sera pas mutilée ! » Cette aventure militaire va durer jusqu'à Noël 1920 (le « Noël de sang »), quand la marine italienne déloge les insurgés. Ces historiens n'ont fait en fin de compte que nous relater la succession des événements, leur implication sur la politique intérieure italienne et sur la situation de l'Italie par rapport au monde nouveau issu du conflit mondial. Dans un livre foisonnant et d'une impressionnante précision historique, Claudia Salaris restitue la réalité de cette expédition, son caractère utopique et ce qu'elle a pu engendrer dans la sphère artistique et littéraire.
Antonio Gramsci Quand les arditi (c'est ainsi qu'on a surnommé les hommes qui ont suivi le poète dans cet extravagant coup de force - le plus souvent des anciens combattants de 20 à 30 ans - s'emparent de Fiume que D'Annunzio surnomme aussitôt « la cité de l'holocauste », le groupe Dada de Berlin envoie au Corriere de la Sera un message ainsi libellé : « Au très illustre Gabriele D'Annunzio. (...) Si les alliés protestent, nous vous prions téléphoner Club Dada Berlin. Conquête grandiose entreprise dadaïste pour la reconnaissance de laquelle nous interviendrons par tous les moyens. L'atlas mondial dadaïste Dadako (éditeur Kurt Wolff, Lepzig) reconnaît déjà Fiume comme ville italienne. Club Dada, Huelsenbeck, Baader, Grosz. »
Arditi di popolo À Fiume se trouvent des représentants de l'anarcho-syndicalisme et du fascisme, de la gauche radicale qui va fonder le Parti communiste italien (Antonio Gramsci soutient D'Annunzio sans faillir), des futuristes, des militaires de carrière et des nationalistes. Le Vate constitue un gouvernement composé de figures les plus singulières de l'époque : Léon Kochnitzsky, qui fait office de ministre des Affaires étrangères et dont l'un des premiers actes officiels a été de demander la reconnaissance du Carnaro par l'Union soviétique, Henry Furst, un ancien collaborateur de Gordon Graig ; Ludovico Torplitz, qui arrive avec un demi-million de lires envoyé par la communauté italienne installée au Brésil ; Alceste De Ambris, syndicaliste anarchiste, nommé chef de cabinet...                      
Alceste de ambris Au milieu de cette armée hétéroclite, où des bataillons réguliers de bersaglieri et de carabiniers se mêlent à des légionnaires de toutes origines, personne ne sera surpris, que s'en distinguent des hommes de lettres.             Ceux-ci déploient une activité frénétique. Plusieurs groupes et revues naissent au sein de l'éphémère État dalmate. Giovanni Comisso intègre le bureau des relations extérieures et, avec Guido Keller, pilote de chasse pendant la guerre, créent la société Yoga qui combat les forces de droite aux seins des légionnaires de Fiume. Et elle le fait par l'humour délirant et une ironie grinçante. Les deux amis fondent la revue Yoga, où il est surtout question de philosophie et d'art (on y discute par exemple de l'esprit de la peinture métaphysique inventée par Giorgio de Chirico). Les collaborateurs de la revue ont eu l'idée du « château d'amour », c'est-à-dire d'un coup d'État au sein de Fiume pour s'emparer du commandement et en chasser les représentants les plus réactionnaires. Sandro Pozzi voit l'expérience de Fiume à travers cette publication comme une sorte de laboratoire de la révolution : « Cette réunion d'esprits libres était le palladium de la résistance fiumaine, la tribune de toutes les affirmations de la pensée légionnaire. » Ils organisent aussi un certain nombre d'événements festifs, comme l'enterrement du premier ministre Nitti le 12 mai 1920.
Le futuriste Mario Carli crée de son côté le journal Testa Di Fero. Ancien animateur de la revue L'Italia Futurista, responsable de la revue Roma Futurista à l'époque, il se sert de cette nouvelle publication pour faire l'éloge de l'ardito comme « futuriste de guerre, l'avant-garde ébouriffée et prête à tout, la force agile et gaie des vingt ans, la jeunesse qui lance des grenades en sifflotant des airs de music-hall ». Testa Di Fero publie, cela va sans dire, un grand nombre de manifestes, des textes de Marinetti, des écrits de Comisso, de Keller, de Piero Belli, de Volt, de Settimelli, du peintre Primo Conti. L'humour est omniprésent, au moins autant que la volonté belliqueuse des conquérants de Fiume. Puis il lance une nouvelle publication avec Ferrucio Vecchi, L'Ardito, où il publie le Manifeste de l'ardito futuriste.
Marinetti, le chef de file du mouvement futuriste, n'a évidemment pas pu renoncer à l'idée de participer à ces agapes militaires, patriotiques et esthétiques.  
                                                                                                                             Il a soutenu D'Annunzio depuis le début. Quand il apprend la prise de la ville, Marinetti s'y précipite et s'installe à l'hôtel Lloyd le 13 septembre. « Je suis à Fiume après une marche fantastique. En plein futurisme ! Tout, tout pour la nouvelle Italie ! Fiume est divine ! Elle mérite tout ! Fiume 2», déclare-t-il à son arrivée. Il prononce plusieurs discours au théâtre Fenice, se prodigue de toutes parts avec les légionnaires futuristes, rencontre D'Annunzio, tire des plans sur la comète. Il a en tête d'organiser une marche sur Fiume et décide donc de rentrer en Italie.                           
Lors du premier congrès fasciste au théâtre Olimpia de Florence, il fait l'éloge des artistes au pouvoir à Fiume :  « Les artistes font enfin du gouvernement un art désintéressé, à la place de celui qui existe, à savoir une pédante science du vol et de la lâcheté. (...) Je crois que les institutions parlementaires sont fatalement destinées à périr. Je crois que la politique italienne est destinée à un échec inévitable, si elle ne se nourrit pas de cette force vive, les génies créateurs d'Italie, en se débarrassant de ces deux maladies italiennes : l'avocat et le professeur. » En 1920, Mussolini et Marinetti, avec son drapeau tricolore où le rouge envahit presque tout l'espace, font campagne commune pour les élections et soutiennent avec force la résistance du « Vate » et de ses compagnons à Fiume. C'est un échec. Mussolini décide de lâcher Fiume. Marinetti rompt avec lui et écrit Au-delà du communisme. D'Annunzio rompt à son tour avec le fascisme.
Fiume 4 Fiume vit ces mois d'exaltation dans un esprit de fête permanente. Toscanini vient y donner un concert, il y a des bals populaires et les initiatives les plus échevelées y ont cours. Quand Keller apprend la teneur des accords de Rappalo demandant l'abandon de Fiume, il décide de survoler Rome et de lancer un pot de chambre sur le Parlement. Mais cette grande fête délirante qu'organisent les insurgés en Dalmatie ne doit pas faire oublier que Fiume a été un grand et singulier projet politique. Gabriele Da lu le 12 août 1920 la constitution de l'État libre de Carnaro, qui se révèle un texte d'un étonnant modernisme dans le sens de la démocratie. Et il offre aux arts, et surtout à la musique une place essentielle : « Dans la régence italienne du Carnaro, la musique est une institution religieuse et sociale. (...)Fiume 3 Dans toutes les communes de la régence sont institués des choeurs et des orchestres instrumentaux subventionnés par l'État. » Et le poète prévoit la construction d'une rotonde de dix mille places pour ces concerts. La révolution « dannunzienne » est avant tout antiplatonicienne puisqu'elle rétablit les arts dans la Cité. Et Marinetti lui emboîte le pas en voulant instituer « un art de la nuit »... Vous avez bien compris : ils voulaient une dictature des muses - ni plus ni moins.

Gabrielle

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